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JFPradat

Traitement par cellules souches dans les maladies de la moelle épinière : regards croisés dans les traumatismes et les maladies dégénératives de la moelle épinières Les résultats présentés lors du 24 ème symposium international sont mis en perspective par
le Dr Pierre-François Pradat, Neurologue et chercheur en neurosiences. Laboratoire d’Imagerie Biologique (Inserm U678) et Département des Maladies du Système Nerveux, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris,.

Lors du 24e symposium international sur la sclérose latérale amyotrophique (SLA) qui a eu lieu en décembre à Milan, plusieurs communications étaient consacrées aux traitements par cellules souches. Il s’agissait de travaux fondamentaux mais également de résultats préliminaires d’essais chez l’homme. Dans ce court article, nous avons voulu résumer les résultats présentés tout en les replaçant dans le contexte plus général de l’utilisation de cette nouvelle stratégie thérapeutique dans les pathologies de la moelle épinière.

Les maladies de la moelle épinières se traduisent par des lésions focalisées ou plus diffuses de certaines structures de la moelle épinières. Elles sont la conséquence de mécanismes variés qui peuvent être traumatiques, inflammatoires, infectieux, vasculaires ou encore neurodégénératifs. La médecine a fait des progrès significatifs, comme en témoigne l’avènement de médicaments efficaces qui luttent contre l’inflammation dans la sclérose en plaques. Par ailleurs, un traitement neuroprotecteur, le riluzole, permet de ralentir la dégénérescence des cellules motrice de la moelle épinière. A coté de ces progrès continus dans la pharmacologie « classique », les avancées spectaculaires de la biotechnologie ont donné naissance à des stratégies thérapeutiques entièrement nouvelles, comme celles basées sur la thérapie génique ou la transplantation de cellules souches. La perception qu’il s’agissait d’un saut qualitatif dans les avancées de la médecine et des résultats obtenus chez l’animal a fait naître des espoirs considérables.
Un bref rappel sur les cellules souches
Même s’il s’agit maintenant d’un domaine de plus en plus connu du grand public, il convient de rappeler qu’une cellule souche est une cellule indifférenciée se caractérisant par sa capacité à engendrer par différenciation cellulaire des cellules spécialisées (neurones, cellules du foie ou de la peau etc…). Elles font l’objet de nombreuses recherches depuis les années 1990, avec l’espoir de régénérer des tissus voire d’en créer de nouveaux de toute pièce. On parle alors de thérapie régénérative. Une autre application de ces cellules souches, et il s’agit pour certains de l’objectif le plus faisable à moyen terme, est d’utiliser ces cellules pour sécréter des facteurs propice à la survie de cellules environnantes malades. On parle alors de thérapies non plus réparatrices mais protectrices.
Il n’est pas non plus inconnu du grand public qu’il existe plusieurs types de cellules souches. Pour simplifier, on distingue les cellules embryonnaires, fœtales et adultes. Ces dernières sont des cellules indifférenciées que l’on trouve en faible nombre au sein de tissus et qui ont pour fonction de permettre aux cellules différenciées majoritaires d’être remplacées, soit en condition physiologique soit après une lésion. Contrairement à d’autres tissus, comme la peau ou le foie, la structure du système nerveux reste relativement fixée après son développement et a perdu cette capacité de renouvellement. Bien que des cellules ayant des caractéristiques embryonnaires persistent au sein du système nerveux, elles restent quiescente et ne jouent plus de rôle significatif dans le renouvellement des neurones. Leur redonner cette propriété, en « réveillant » leur capacité de différentiation est un défi scientifique important qui pourra peut être devenir possible dans l’avenir.

Les IPS : des cellules souches crées par la main de l’homme

Récemment, une découverte fondamentale a montré qu’il était possible de transformer une cellule adulte spécialisée en cellule immature capable de reproduire, ou du moins du moins de mimer le fonctionnement et la structure de n’importe quel type de cellules de l’organisme. On parle d’IPS , un acronyme anglais qui désigne les cellules pluripotentes induites (figure). Cette découverte a valu le prix Nobel de médecine 2012 à Shinya Yamanaka, le chercheur japonais qui a mis au point cette technique révolutionnaire six ans plus tôt à l’université de Kobé. Au delà du débat éthique sur l’utilisation de cellules souches embryonnaire, il existe plusieurs avantages à l’utilisation de cette stratégie pour produire des cellules souches chez l’homme. Un premier avantage est que l’accès aux cellules est simple pouvant nécessiter une simple biopsie cutanée. Un second avantage est que ces cellules provenant du patient lui-même, elles ne sont pas susceptibles d’entrainer de rejet. Une difficulté importante est que le traitement de ces cellules pour les dé-différencier en cellules souches nécessite des manipulations biologiques extrêmement compliquées, qui ne sont encore maitrisées que dans des laboratoires extrêmement spécialisés et qui ne sont pas encore standardisées. Pour cette raison, il convient de mettre en garde les patients contre certaines cliniques qui se targuent de produire ce type de cellules à des fin thérapeutiques, dans une optique parfois sordidement mercantile et qui d’ailleurs, mais cela n’a rien d’étonnant, ne rapportent jamais leurs résultats à la communauté scientifique. Enfin, une limite de cette approche utilisant des IPS, et c’est peut être le point le plus incertain actuellement est qu’il s’agit de cellules artificielles qui ont été entièrement crées de la main de l’homme. En ce sens, leur comportement et leur survie lorsqu’elles vont se trouver dans un tissu humain régulé de façon complexe restent encore largement inconnus. Le risque que ces cellules s’emballent et soient à l’origine de formation de tumeurs doit également être gardé à l’esprit et incite à la prudence dans la conduite et la surveillance des essais thérapeutiques.
Quelles applications dans les maladies de la moelle épinière ?
L’objectif d’implanter des cellules souches au niveau de la moelle épinière dépend de la diffusion des lésions que l’on veut cibler. A ce titre deux situations s’opposent. La première est celle des lésions localisées comme c’est le cas des traumatismes de la moelle épinière. La seconde situation est celle de processus qui affectent des régions étendues de la moelle épinière.

– Une affection localisée : les traumatismes de la moelle épinière

Dans ce cas, la situation peut s’avérer favorable puisque la lésion est limitée essentiellement au niveau du traumatisme, même si des phénomènes secondaires, comme l’œdème ou l’inflammation, peuvent s’étendre au-delà. L’objectif serait d’implanter des cellules souches au niveau de la lésion elle même afin de permettre de créer un pont entre les fibres nerveuses de part et d’autre de la lésion. Ce pont serait susceptible de permettre de restaurer la transmission de l’information qui a été rompu par l’interruption des fibres nerveuses au niveau de ce traumatisme. Cette stratégie n’est pas sans rappeler les travaux précurseurs de l’équipe du Professeur Marc Tadié, qui avaient à l’époque utilisé une approche différente des cellules. Les segments de moelle épinière situés de part et d’autre de la lésion étaient raccordés grâce à des fragments de nerfs périphériques pour laisser place à la repousse des fibres nerveuses. Il s’agissait alors d’un véritable nouveau concept dans la façon d’envisager le traitement des maladies de la moelle épinière.
Concernant les cellules souches, des résultats prometteurs ont été obtenus chez l’animal. Toutefois, on attend encore la confirmation de cette efficacité chez l’homme. De nombreuses difficultés se présentent encore. D’abord les caractéristiques protéiformes des différents types de lésions médullaires produite par des traumatismes variés chez l’homme sont bien différentes de celles crées dans des conditions expérimentales et contrôlées chez l’animal. Par ailleurs, au stade chronique, c’est à dire à distance du traumatisme initial, on citera également les difficultés liées à l’existence de ce qu’on appelle la cicatrice gliale, sorte de mur qui se crée au départ pour limiter la propagation des lésions mais qui ensuite crée une sorte de carcan qui limite la croissance de fibres et la connexion des cellules souches avec leurs voisins.
Plus généralement, il faut concevoir la moelle épinière non pas comme un simple câble électrique qui permet simplement de transmettre l’information depuis le cerveau mais comme un réseau interconnecté de neurones « intelligents » qui fonctionnent en étroite relations. Ces propriétés de connectivité et d’intégration des informations n’ont pu être acquises qu’au terme d’un lent processus de développement du système nerveux. On peut ainsi se poser la question de la capacité de ces cellules « naïves » à s’intégrer dans un réseau complexe bâtit lors du développement et sujet toute la vie à des adaptations par des phénomènes de plasticité. Favoriser l’intégration de ces cellules, les rééduquer en quelque sorte pour qu’elles assurent leur fonction au sein des réseaux de neurones de la moelle, nécessitera peut être de faire appel à d’autres méthodes d’induction de la plasticité qu’il s’agisse de méthodes médicamenteuses, de rééducation voire de stimulation électrique.

– Une affection diffuse : l’exemple de la sclérose latérale amyotrophique

La deuxième situation concerne les maladies diffuses de la moelle épinière. Nous parlerons ici de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) qui est une maladie qui touche l’adulte et entraine une dégénérescence de la moelle épinière. Contrairement aux traumatismes de la moelle, l’atteinte est sélective, c’est-à-dire qu’elle ne touche pas toutes les parties de la moelle épinière mais seulement les systèmes moteurs. La SLA induit une dégénérescence du faisceau corticospinal, le faisceau qui relie le cortex moteur aux neurones situés dans la moelle épinière qui commandent les muscles. Si cette atteinte est sélective pour un type particulier de neurones, elle est toutefois diffuse puisque, à des degrés divers en fonction des patients, la dégénérescence peut toucher toute la moelle depuis sa région cervicale, qui commande les muscles respiratoires et des membres supérieurs, jusqu’à son segment lombaire responsable de la mobilité de la mobilité des membres inférieurs. On comprend aisément que le défi est plus compliqué s’agissant de faire en sorte que l’action des cellules souches puisse se faire à ses différents niveaux.
Quelle stratégie adopter pour cibler ces différentes parties de la moelle qui chez l’homme sont éloignées ? La première est de prendre le parti de ne traiter qu’une partie de, la moelle épinière. C’est la stratégie adoptée par la société de biotechnologie Neurastelm dont les résultats avaient été présentés par Jonathan Glass (USA) lors du précédent symposium international sur la SLA qui avait eu lieu en 2012. Les cellules implantées sont des cellules souches humaines de la moelle épinière. Cet essai avait concerné 18 patients parmi lesquels l’injection a été réalisée dans la moelle lombaire dans 12 cas et la moelle cervicale dans 6 cas. L’injection était réalisée par un neurochirurgien (Nicholas M. Boulis) très expérimenté dans la chirurgie de la moelle épinière. Le résultat principal de cette étude est que la procédure n’a pas entraîné de complications post-chirurgicales. Les courbes d’évolution des avaient été présentées lors du congrès sans qu’il soit possible de conclure sur une efficacité ou non du procédé. En effet si certains patients semblaient avoir une évolution relativement stable, il était impossible de déterminer s’il s’agissait de l’évolution naturelle de la maladie ou bien d’un effet bénéfique du traitement. D’autres travaux ont été présentés lors du dernier symposium international sur la SLA de 2013 qui a eu lieu à Milan. L’équipe italienne de Mazzini a présenté des résultats obtenus chez 6 patients en utilisant des cellules d’origine fœtale. L’injection était réalisé au niveau lombaire et s’est montré bien tolérée. Le protocole d’injection était identique à celui réalisé par l’équipe américaine. Cet effort d’homogénéiser les procédures doit être salué car il constitue la condition indispensable pour comparer les différentes études, et d’évaluer les avantages et désavantages des différents types de cellules souches

Une deuxième stratégie a été présentée lors du même congrès de Milan par Karussis et collaboratuers (Israel). Il s’agit cette fois de cellules mésenchymateuses prélevées chez le patient lui-même au niveau de la moelle osseuse. Ces cellules subissent ensuite des manipulations biologiques, pour leur permettre de sécréter des facteurs de croissances neurotrophiques, c’est-à-dire favorisant la survie des motoneurones. A l’inverse du protocole précédent, ces cellules ne sont pas injectées dans la moelle osseuse mais dans le liquide céphalorachidien, c’est-à-dire le liquide qui entoure la moelle épinière. Cette procédure est donc moins traumatique (c’est le liquide que l’on prélève lorsqu’est réalisée une ponction lombaire) et possède l’avantage de pouvoir permettre aux cellules de circuler le long de la moelle et donc de pouvoir théoriquement cibler des segments étendus. Il est toutefois important de souligner qu’il existe une barrière physiologique entre la moelle et le liquide céphalorachidien qui limite le passage de petites molécules et la colonisation de l’intérieur de la moelle par des cellules volumineuses est loin d’être garantie. Outre l’injection dans le liquide céphalorachidien, a également été testée une injection dans les muscles eux même. L’idée est que les terminaisons nerveuses sont susceptibles de capter les molécules trophiques sécrétées par les cellules souches et de les transporter le long des motoneurones. D’autre part notre équipe de la Pitié-Salpêtrière (Dr Pierre-François Pradat et collaborateurs, 2012) a récemment montré que les cellules souches musculaires susceptibles de remplacer les fibres musculaires atrophiques étaient défaillantes dans la SLA. Cette double approche d’injection a le mérite de cibler deux contingents impliqués dans la maladie. Les résultats ont été présentés comme prometteurs par les auteurs de la présentation mais nécessitent d’être interprétés avec circonspection. Sur la base d’un échantillon de 6 patients, un ralentissement de la pente évolutive était observé avant et après le traitement. Il faut souligner que le faible effectif de patients ne permet en rien de pouvoir conclure définitivement et que les différences de résistent pas une analyse statistique rigoureuse. Si cela ne retire pas l’intérêt de ces travaux, ils doivent être absolument confirmés.

CONCLUSION

Ce bref exposé avait pour objectif de faire un état des lieux rapide des différents axes de recherche clinique dans le domaine du traitement par cellules souches des pathologies de la moelle épinières. Nous avons adopté le parti pris de mettre cote à cote deux pathologies afin de mieux souligner les défis communs mais également les spécificités. Nous sommes convaincu que les progrès seront accélérés si chaque domaine fait profiter les autres de ses succès mais également des leçons tirées de ses éventuels échecs. C’est certainement aussi grâce à des échanges avec d’autres champs scientifiques, citons ceux des nanotechnologies ou de la thérapie génique, que des concepts novateurs pourront peut être voir le jour.
Enfin, nous aurions aimé fournir aux lecteurs des résultats plus concrets dans ce domaine qui suscite tant d’espoirs. Cette lenteur dans l’avènement d’applications thérapeutiques chez l’homme, et c’est bien compréhensible, est souvent ressentie comme une frustration par les patients et leurs proches qui sont confrontés à des pathologies graves, handicapantes et, dans le cas de la SLA, évolutives. Nous devons toutefois garder à l’esprit l’expérience malheureuse des essais précipités dans le domaine de la thérapie génique. Des complications graves avaient gravement ralenti l’évolution dans ce domaine de recherche, créant une suspicion général sur le bien fondé de cette approche et ralentissant aussi les investissements financiers. Le principe du « primum non nocere » s’applique dans tous les champs de la médecine et celui des cellules souches ne saurait faire exception. Nous avons la chance qu’il existe une formidable dynamique scientifique sur un plan international mais gardons nous de commettre pas les erreurs du passé. Nous nous devons d’avancer avec un enthousiasme tempéré d’un souci éthique et de prudence.

 

colonie de cellules IPS humaines. Illustration fournie par le Dr Delphine Bohl, Institut Pasteur de Paris, qui travaille sur ces cellules dans le cadre de ses recherches sur la SLA

colonie de cellules IPS humaines. Illustration fournie par le Dr Delphine Bohl, Institut Pasteur de Paris, qui travaille sur ces cellules dans le cadre de ses recherches sur la SLA

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