Home > Tribune > Incertaine certitude (témoignage d’Yves Rabut)

La Fondation Thierry Latran a reçu le témoignage d’Yves Rabut qu’il nous autorise à publier. Nous le remercions sincèrement de ce partage émouvant qui démontre la nécessité de poursuivre notre combat. Merci à vous tous qui nous aidez pour que la recherche trouve, merci à ceux qui le peuvent de venir nous rejoindre, chaque don est UTILE.

« Ma SLA a été diagnostiquée en octobre 2010.
C’est une amie qui connait parfaitement cette maladie qui m’a fait découvrir la Fondation Thierry Latran. Dès que j’ai connu cette fondation j’ai compris qu’elle est vraiment au service des malades et de la recherche. Les malades, leurs conjoints, leurs parents et leurs amis peuvent, par l’intermédiaire de la Fondation, garder l’espoir de voir une solution thérapeutique être trouvée. Depuis sa création la Fondation a patronné et financé un grand nombre de sujets de recherche et de protocoles de développement de nouvelles molécules destinées à combattre la maladie. J’ai décidé d’être donateur pour contribuer, bien modestement, à cette mission généreuse. Je ne remercierai jamais assez mon amie pour m’avoir orienté vers la Fondation Thierry Latran. »

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« C’est une mode qui se répand depuis peu. Celle du fauteuil roulant. Films, romans, téléfilms, reportages mettent en scène des handicapés à roulettes. Moi aussi je succombe à cette mode !

Je suis «en fauteuil », et ma vie s’écoule ainsi du lit au fauteuil et du fauteuil au lit.

La maladie de Charcot. Connaissez-vous ? C’est une maladie neurologique évolutive qui s’attaque aux neurones moteurs du bulbe et de la moelle épinière. On la nomme aussi d’un terme plus savant : sclérose latérale amyotrophique de la corne antérieure de la moelle épinière. Ou plus simplement SLA. Ça vous tombe dessus sans prévenir ?  Il y a bien des signes précurseurs quelques mois avant ou peut-être quelques années avant que les symptômes ne deviennent évidents

Mais même ces symptômes ne suffisent pas pour décider que c’est bien cette maladie qui en est responsable. Il  m’a fallu deux séjours de chaque fois une semaine à l’hôpital neurologique pour que les médecins excluent successivement toutes les maladies neurologiques qui donnent des manifestations  sensiblement identiques. Ainsi à quelques jours de mon anniversaire le médecin chef de service est venu m’annoncer la sentence.

Ce médecin, une femme très sympathique, m’a décrit la maladie, son évolution et son issue  irrémédiable. Elle m’a dit que j’allais recevoir le traitement unique et peu efficace que suivent  tous les malades, lorsqu’ils le supportent. Elle m’a proposé de rencontrer mon épouse et, si je le souhaitais, mes enfants. J’ai accepté cette proposition. Mon épouse et notre fille aînée ont donc rencontrées cette neurologue. Et  rien ne leur a été caché sur l’évolution de la SLA. Paralysie progressive des membres puis des muscles respiratoires jusqu’au moment où il faudra accepter une trachéotomie pour suppléer l’insuffisance respiratoire, accompagnée d’une nourriture directement introduite dans l’estomac

Quels furent les signes prémonitoires que j’avais perçus ? Des crampes musculaires nocturnes dans les membres inférieurs. Et aussi de fréquentes chutes après avoir buté du pied en marchant dans la rue ou sur un chemin. Puis, au cours de mon dernier été de valide, des chutes en descendant de vélo. Ces signes je les avais  signalés à mon médecin traitant, qui me suit depuis plus de dix ans, sans qu’il les prenne au sérieux jusqu’à ce que j’insiste pour consulter un neurologue. Ce spécialiste fut malheureusement presque aussi incompétent que mon toubib et après un électromyogramme diagnostiqua une myalgie. Il fallut que j’insiste à nouveau pour que ce neurologue finisse par accepter de m’envoyer à l’hôpital neurologique pour une consultation. Ainsi plus de deux ans ont passé sans que la maladie soit révélée. Depuis, j’ai changé de médecin traitant !

Environ six mille malades en France souffrent actuellement de la SLA. La plupart de ces personnes sont adultes mais il y a des jeunes. Certains décèdent rapidement, d’autres survivent longtemps, la maladie ne progressant que très lentement. Qui sont ces malades ? De toutes catégories. Des sportifs, comme de nombreux footballeurs italiens, un champion américain de baseball,  et des gens comme vous et moi. Les chercheurs supposent que le stress, l’exposition aux solvants, aux métaux lourds seraient des facteurs favorisant l’apparition de la SLA. Bien moins connue et honorée par les médias que d’autres maladies graves comme le sida, la myopathie de Duchêne ou  la maladie d’Alzheimer, la SLA, dont souffre moins d’une personne sur mille en France, ne bénéficie pas d’autant de recherche, faute de financements, ni d’autant de réputation que les maladies que j’ai citées. Aussi n’y-a-t-il pas de médicament qui traite réellement cette maladie. Tout au plus une molécule qui, dans quelques cas, retarde son évolution.

C’est une maladie terrible qui détruit peu à peu le corps du malade par une paralysie progressive de ses membres puis de sa respiration sans détruire sa conscience. Ainsi le malade peut assister jusqu’au bout à sa dégénérescence, à son long assassinat, à sa lente agonie. Devant cette perspective les médecins m’ont annoncé qu’un jour se posera la question d’une trachéotomie pour m’aider à survivre par une assistance respiratoire. Ce sera le début d’un processus d’assistance impliquant, entre autres, une nutrition entérale. Il me faudra choisir, continuer à vivre avec une assistance progressivement  accrue ou bien refuser cet artifice et quitter cette vie en étant accompagné par des soins qui m’éviteront de souffrir. L’asphyxie progressive entraîne une augmentation de la concentration  du dioxyde de carbone dans le  sang, ce qui produit un assoupissement. Le malade s’endort pour ne plus se réveiller. J’ai déjà choisi, j’ai  rédigé, sur la recommandation des médecins, un consentement éclairé dans lequel je déclare m’opposer à tout acharnement thérapeutique et à refuser de survivre artificiellement.

J’ai eu l’opportunité de pouvoir  présenter ma candidature pour  participer  au « protocole » d’une nouvelle molécule susceptible d’être plus efficace que celle du médicament actuel. Après que l’équipe médicale ait contrôlé mes aptitudes physiques et que j’ai eu accepté les conditions de l’expérimentation j’ai été admis au protocole dont  le centre de suivi et de responsabilité est situé dans un CHU de Montpellier,  je dois me présenter dans ce centre tous le deux mois. Cette étude en double aveugle implique que ni le patient ni le médecin ne sachent qui est sous placebo et qui a le véritable médicament jusqu’au deuxième stade de l’étude où la molécule sera distribuée à l’ensemble des malades jusqu’à la fin de l’étude. Mais au stade actuel, après 15 mois d’expérimentation,  il n’y a pas eu de manifestation d’un effet remarquable  sur aucun des patients.

J’ai renoncé progressivement à ce qui contribuait au plaisir de vivre : sport, randonnées, voyages, musées, théâtre, cinéma, visites chez nos enfants, chez nos amis, ou simples promenades, Mais j’ai la grande chance d’être accompagné par une épouse qui m’aime profondément. Sans elle je serais condamné à survivre dans une institution ! J’ai aussi la chance d’avoir beaucoup d’amis, de vrais amis, une famille qui m’aime. Ils m’appellent, m’envoient des courriers, des messages électroniques, viennent me voir. Ainsi ma vie continue. Mais ce qui me fait souffrir  c’est que ma maladie contraint mon épouse à une réclusion forcée. Elle ne peut plus partir plus d’une demi-journée, elle hésite à sortir le soir, elle ne va plus chez nos enfants qui habitent loin de Lyon, la maison de campagne où elle soignait son jardin est délaissée.

Je ne veux pas me plaindre, susciter  une quelconque pitié. Après un temps de révolte et même des envies de suicide, vite rejetées à l’idée des blessures irrémédiables que cela affligerait à ma compagne, mes enfants, petits-enfants, mes amis.  J’emprunte la voie du stoïcisme, je relis Marc Aurèle et Sénèque.

J’ai trouvé dans le livre de Marguerite Yourcenar, « Les Mémoires d’Hadrien » un passage qui correspond parfaitement avec ce que je vis.

« Je n’en suis pas moins arrivé à l’âge où la vie, pour chaque homme, est une défaite acceptée. Dire que mes jours sont comptés ne signifie rien ; il en fut toujours ainsi ; il en est ainsi pour nous tous. Mais l’incertitude du Je n’en suis pas moins arrivé à l’âge où la vie, pour chaque homme, est une défaite acceptée. Dire que mes jours sont comptés ne signifie rien ; il en fut toujours ainsi ; il en est ainsi pour nous tous. Mais l’incertitude du lieu, du temps, et du mode, qui nous empêche de bien distinguer ce but vers lequel nous avançons sans trêve, diminue pour moi à mesure que progresse ma maladie mortelle. Le premier venu peut mourir tout à l’heure, mais le malade sait qu’il ne vivra plus dans dix ans. Ma marge d’hésitation ne s’étend plus sur des années, mais sur des mois. Une crise d’étouffement se chargera de la besogne. Serai-je emporté par  la dixième crise ou par la centième ? Toute la question est là. Comme le voyageur qui navigue entre les îles de l’Archipel voit la buée lumineuse se lever vers le soir, et découvre peu à peu la ligne du rivage, je commence à apercevoir le profil de ma mort ».

Enfin, mon seul désir est de transmettre à mes enfants et à mes petits-enfants les richesses spirituelles et les quelques savoirs que j’ai pu glaner et engranger au cours de mon chemin de vie. Je profite du temps incertain qui me reste à vivre pour me rapprocher d’eux. Et aussi de mon épouse chérie qui m’accompagne depuis cinquante années.

J’ai pu rassembler de nombreux amis de longue date, certains de mes années de collège, qui reviennent vers moi, avertis de ma maladie. Je sais que je pourrai vivre un bel adieu. Ma seule angoisse est de penser au chagrin qu’éprouvera Annie, mon grand amour que j’aime et qui m’aime depuis notre jeune adolescence, il y a soixante ans. »

***

Yves RABUT le 18 octobre 2012,  jour de la saint Luc.

Crédit photo : Niroshana Sattambiralalage – Flickr

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