Accueil > Maladie de Charcot > Actualités en recherche > Autour du 24e symposium international sur la SLA : les nouveaux concepts, janvier 2014
Dr.-Pierre-François-Pradat

1 ) La SLA : une défaillance  des systèmes moteurs et pas seulement des motoneurones

2)  Marqueurs musculaires et de neuroimagerie 

La fondation Thierry Latran remercie vivement le Dr Pierre-François Pradat pour cet article passionnant.

Le Dr Pierre-François Pradat est  lauréat de la fondation pour le  projet intitulé : « Implication des dysfonctionnements métaboliques dans la pathogenèse de la SLA »,  neurologue et chercheur en neurosciences, Laboratoire d’Imagerie Biologique (Inserm U678) et Département des Maladies du Système Nerveux, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière,  Paris

1ère Partie : La SLA : une défaillance  des systèmes moteurs et pas seulement des motoneurones

Le congrès 2013 de l’ALS/MND a mis en lumière l’implication complexe des systèmes moteurs dans la SLA. On sait, notamment depuis les travaux expérimentaux de l’équipe de Don Cleveland  (Etats Unis) que si la traduction clinique des la SLA est pour une grande partie le reflet de l’atteinte des motoneurones, d’autres cellules sont activement impliquées dans le processus dégénératif.    Depuis cette découverte essentielle, de nombreuses études se sont concentrées sur l’environnement immédiat des motoneurones, comme les cellules microgliales impliquées dans l’inflammation.  Mais  au delà de ces voisins proches du motoneurones, d’autres systèmes qui peuvent être situés beaucoup plus à distance s’avèrent de  plus en plus jouer un déterminant dans la genèse ou la progression de la maladie.  Ce constat n’a pourtant rien de réellement  surprenant quand on sait que les motoneurones reçoivent des informations de multiples régions du système nerveux.  Ces informations sont essentielles pour son fonctionnement puisque le contrôle de la motricité dépend de l’interconnexion complexe de multiples aires cérébrales impliquées par exemple dans l’initiation et la programmation des actes moteurs. Les motoneurones reçoivent également des informations provenant de la périphérie, notamment par les systèmes sensoriels. Des neurones dits « proprioceptifs » informent ainsi les systèmes moteurs de la position des articulations, ce qui permet un ajustement continu du mouvement. Ces connexions multiples qui vont influer sur l’activité électrique des motoneurones sont indispensables pour leur fonctionnement mais également pour  leur survie. Les travaux réalisés au cours du développement ont en effet  établi depuis longtemps que la survie des motoneurones était étroitement liée à leur activité électrique. Dissocier l’étude des facteurs de survie de motoneurones de leur activité intégrée est sans doute extrêmement réducteur.

Alors que cette complexité des systèmes moteurs est connue depuis longtemps et a fait l’objet de nombreux travaux, comment peut on expliquer que l’on ait jusqu’à maintenant négligé l’étude de la participation des autres systèmes dans le cas de la SLA ? Des travaux d’éminents contemporains de Charcot avaient pourtant déjà montré qu’anatomiquement d’autres structures du système nerveux étaient atteintes dans la SLA. Comme c’est souvent le cas en médecine, on constate que des questions essentielles ont été soulevées dans la passé puis ont été oubliées. L’explication de cette occultation réside certainement dans les difficultés des méthodes d’analyses. Il est possible dans des systèmes in vitro, par exemple des cultures cellulaires, d’étudier le comportement artificiel de motoneurones privés de leurs connexions mais certainement pas l’influence des autres systèmes. Les modèles animaux sont également en échec puisque l’organisation des systèmes moteurs est très différente de celle de l’homme.

C’est justement les avancées dans les techniques permettant d’avoir accès aux perturbations globales des  systèmes moteurs dans la SLA qui expliquent un regain d’intérêt de la communauté scientifique. Les progrès en neuroimagerie permettent en effet maintenant une analyse de plus en plus fine à la fois des changements de structures et également des modifications de fonctionnement cérébral grâce à l’imagerie fonctionnelle.  Des outils mathématiques permettent d’établir des modèles de la connectivité cérébrale. Enfin d’autres méthodes, comme l’électrophysiologie, la spectroscopie ou encore la magnéto-encéphalographie, sont susceptibles de détecter des perturbations. Le défi est non seulement d’analyser les systèmes qui dysfonctionnent dans la maladie mais également les phénomènes de compensation. Loin d’être uniquement des outils pour la compréhension de la maladie, ils pourraient s’avérer dans l’avenir apporter de nouvelles stratégies thérapeutiques. Favoriser les systèmes de compensations par des médicaments, des  méthodes de rééducation, voire des systèmes de stimulation électriques ou magnétique, constitue une voie certainement  extrêmement prometteuse. 

Atteinte des neurones sensoriels dans la SLA

Il n’existe pas de diminution de la sensibilité chez les patients souffrant de SLA. Des données récentes, à fois chez l’homme et dans des modèles animaux,  démontrent toutefois qu’une atteinte des systèmes sensitifs, qui n’a pas de traduction clinique, est présente dans la maladie. Gene et collaborateurs (SLA) ont analysé l’innervation cutanée dans un modèle murin de SLA.  Ils montrent qu’il existe de façon précoce une diminution des fibres sensitives qui s’aggrave au cours de l’évolution de la maladie. Les travaux présentés par Iglesias et collaborateurs (France) au sein du laboratoire dirigé par le Dr Habib Benali (Hôpital de la Pitié-Salpêtrière) montrent que ces anomalies des fibres sensitives existent aussi chez les patients souffrant de SLA (FIGURE 1). En effet, lorsque les fibres sensitives sont stimulées électriquement au niveau de la main, l’amplitude du signal électrique recueillie au niveau des aires sensorielles cérébrales est diminuée.  Les perturbations concernent à la fois la portion des fibres qui chemine le long des nerfs périphérique et celle qui remonte le long de la moelle épinière en direction du cortex sensitif. En utilisant des techniques avancées d’imagerie de la moelle épinière, les auteurs montrent que les anomalies électrophysiologiques sont effectivement associées à une altération des faisceaux sensoriels qui sont situés dans la partie postérieure de la moelle épinière. Des travaux sont en cours pour analyser comment ces anomalies peuvent modifier l’activité électrique des motoneurones et donc potentiellement leur survie.

Interneurones et défaut d’inhibition : un rôle complexe.

Comme leur nom le suggère, les interneurones se situent entre deux autres neurones. Ils jouent un rôle essentiel dans la  transmission, le traitement et l’intégration  de l’information nerveuse (FIGURE 2). Les interneurones du système nerveux central sont principalement inhibiteurs et secrètent des neuromédiateurs de type GABA ou glycine.

Clark et collaborateurs (Australie) ont utilisé des marqueurs spécifiques de cette sous-population de neurones dans un modèle murin de  SLA. Ils apportent la démonstration  qu’il existe bien une diminution du nombre d’interneurones, ce qui suggère qu’il existerait un défaut d’inhibition au sein du système nerveux central dans la SLA. Cette perte de l’inhibition serait elle un mécanisme primaire dans la maladie en conduisant à une  augmentation de l’activité des neurones à terme délétère ? Cette conception semble s’accorder avec le concept général qu’une excitabilité accrue des motoneurones serait impliquée dans leur dégénérescence (on parle d’excitotoxicité), notamment par le biais d’une entrée de calcium dans les cellules nerveuses. Les choses sont en fait bien plus compliquées, comme l’a montré Pico Caroni (Suisse) lors d’une conférence brillante qui a bouleversé bien des idées reçues. Il nous a fait part de sa conception originale du rôle possiblement protecteur de l’excitabilité des motoneurones qui est le fruit de nombreuses années de travaux publiés dans les plus grandes revues. Lorsqu’on administre chez la souris  des agents pharmacologiques qui rendent les motoneurones plus sensibles à une stimulation électrique (« hyperexcitables »),  ceux ci deviennent  résistants au processus de dégénérescence. Une interprétation serait que l’hyperexcitabilité constituerait en fait  mécanisme de compensation visant à protéger les motoneurones. Finalement, on en revient à la question plus générale de comprendre ce qui revient à des mécanismes toxiques ou protecteurs dans la SLA. Une discussion similaire a eu lieu lors d’une session du congrès consacrée au rôle de l’inflammation dans la SLA. Il y a t’il une place pour des thérapeutiques visant à stimuler l’inflammation, classiquement toxique mais  dont des certaines données indiquent qu’elle pourrait être protectrice ? Le débat est ouvert aussi bien dans le domaine de l’inflammation que dans celui de l’excitabilité électrique des neurones.

Des études sur le rôle des interneurones chez l’homme sont ainsi indispensables compte tenu des limites des modèles animaux. Un programme de recherche est en cours afin d’analyser ces anomalies en utilisant des méthodes avancées d’électrophysiologie (Dr Véronique Marchand-Pauvert et Dr Pierre-François Pradat)

Le cervelet et les ganglions de la base

Le contrôle de la motricité fait intervenir des structures cérébrales profondes comme les ganglions de la base (FIGURE 3) et le cervelet (FIGURE 4). Par ailleurs,  ces structures ont également une fonction essentielle dans les processus cognitifs. Une étude en IRM présentée par Bede et collaborateurs (Irlande) chez des patients porteurs de la mutation dans le gène C9ORF72 a montré des anomalies des ganglions de la base, comme le noyau caudé dans la SLA. Deux autres communications ont montré que le cervelet n’était pas respecté au cours de la SLA que l’on considère son volume (Tan et collaborateurs, Australie) ou bien des index métaboliques par un méthode  de spectroscopie (Sharma et al , USA).

Les  anomalies non directement liées à la perte en motoneurone pourraient rendre compte de certaines anomalies cliniques comme l’avait suggéré un travail réalisé Pitié-Salpétrière sur l’origine des  troubles de l’équilibre et des anomalies du tonus musculaire (Pradat et collaborateurs, 2009). Une étude a débuté afin d’aller plus loin dans la compréhension des mécanismes en cause (Dr Giovanni de Marco et Pierre-François Pradat). Elle combine une analyse mécanique précise des troubles de la marche  et à une étude en IRM fonctionnelle. Elle devrait permettre de mieux comprendre les mécanismes responsables  des troubles de l’équilibre ainsi que les processus de compensations qui sont mis en jeu. Ces travaux pourraient permettre de développer de nouvelles thérapeutiques pour corriger ces troubles qui sont très invalidants chez les patients et peuvent entrainer des chutes.

LEGENDES

 AS n12 Fig1 méthodes étude voies sensitives

Figure 1 : des méthodes pour étudier l’implication des voies sensitives dans la SLA (figure réalisée par le Dr Caroline Iglesias (Laboratoire d’Imagerie Biologique Inserm U678)

AS 12 fig2

Figure 2 : un exemple d’interneurone qui connecte, par l’intermédiaire d’une synapse, un neurone moteur (motoneurone) à un neurone sensitif

AS n12 Figure 3 ganglions de la base

Figure 3 : ganglions de la base (Striatum, GPe, GPi, STN et SN).

AS n12 Figure 4 cervelet

Figure 4 : cervelet (en bleu)

 

 

 

2ème partie : Marqueurs musculaires et de neuroimagerie

 Comme l’année précédente, de nombreuses communications étaient consacrées aux biomarqueurs de la SLA, attestant de la vitalité de ce domaine de recherche. Qu’est-ce qu’un biomarqueur et pourquoi autant d’équipes concentrent leurs efforts dans ce domaine ? Un marqueur est en indice qui permet  de reconnaître la maladie (on parle alors de marqueur diagnostique) ou bien d’évaluer sa gravité ou encore la réponse à une intervention thérapeutique, notamment médicamenteuse. La nature d’un biomarqueur est diverse. Il peut s’agir d’un indice électromyographique, de neuroimagerie ou encore un composé biologique. En dehors de cas familiaux où la mutation dans un gène constitue une signature de la maladie, aucun  marqueur n’a été validé dans les formes habituelles de SLA. Des travaux  antérieurs ont permis de détecter des anomalies lorsque qu’on analysait un groupe de patients mais ces résultats ne permettent pas d’établir un diagnostique ou un  pronostique à l’échelon individuel. Le progrès dans d’autres maladies neurodégénératives permettent d’être optimiste. En effet, différents marqueurs dosés dans le liquide céphalo-rachidien ainsi que des mesures d’imagerie font maintenant partie des nouveaux critères permettant d’établir un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Dans ce résumé nous ne parlerons que des biomarqueurs musculaires et de neuroimagerie, les autres aspects seront en effet traités par le Dr Hélène Blasco (Tours)

Un intérêt croissant pour les marqueurs musculaires

 La Créatinine

La créatinine est un produit de dégradation de la créatine, une protéine essentiellement présente dans les muscles. Elle peut être détectée par une simple prise de sang et son dosage est réalisé en routine. Ses taux sont diminués dans la SLA reflétant l’atrophie, et donc la diminution du nombre de fibres musculaires, mais sans doute, de façon plus générale, l’état du métabolisme musculaire.  Des travaux publiés en 2005 sous la direction du Pr Vincent Meininger (Paris) avaient montré que les  taux de créatinine  étaient corrélés à l’évolution de la maladie. Ces résultats étaient précurseurs puisque des données présentées pendant le congrès et lors d’un symposium satellite ont montré un regain d’intérêt pour cette piste. Trois études nord-américaines indépendantes ont en effet confirmé l’intérêt de la créatinine comme biomarqueurs de l’évolution de la SLA   (Dr Bozik, Dr Bowser et Pr Brooks). Toutefois, il convient encore une fois d’insister sur le fait qu’il s’agit d’analyses statistique englobant un nombre important de patients et que ce marquer ne peut en rien être utile pour évaluer la gravité de la maladie chez un patient individuellement. 

Vers d’autres marqueurs musculaires

Ces résultats obtenus avec la créatinine montrent plus généralement l’intérêt de  la recherche de biomarqueurs musculaires. Si et al (USA), ont étudié l’expression des gènes à partir de biopsies musculaires réalisés chez des patients. Pour cela, ils ont utilisé une technique à haut débit appelée transcriptomique qui permet de mesurer l’expression de la quasi totalité des gènes connus dans un tissu donné. Ces travaux viennent confirmer des résultats publiés en 2012 grâce à une collaboration entre Paris et Strasbourg, travaux qui avaient déjà montré l’intérêt de cette même approche de transcriptomique (FIGURE 5). Une étude est en cours afin  de savoir s’il existe une signature musculaire spécifique de la SLA (investigateur principal : Dr Pierre-François Pradat). Pour cela un l’expression musculaire des gènes est analysée dans différentes maladies du motoneurone (SLA, syndrome de Kennedy et amyotrophie spinale). Ce programme de recherche est réalisé grâce à une étroite collaboration avec l’institut de Myologie de la Pitié-Salpêtrière (Dr Stéphanie Duguez  et Dr Gill Butler-Brown) et le Laboratoire de Signalisations Moléculaires et Neurodégénérescence situé à Strasbourg (José Gonzalez de Aguilar et Jean-Philippe Loeffler) 

Marqueurs de neuroimagerie

L’intérêt des nouvelles méthodes d’imagerie pour localiser et mieux comprendre la nature des lésions et dysfonctionnement au sein du système nerveux a été mentionné précédemment. Une application est d’utiliser cette approche pour améliorer le diagnostic ou encore essayer de prédire l’évolution de la maladie. Lors du congrès de Milan ont été présenté des travaux utilisant des méthodes avancées d’imagerie qui permettent d’étudier les faisceaux d’axones (imagerie du tenseur de diffusion) ou bien encore l’épaisseur du cortex cérébral. Comme pour les marqueurs biologiques, aucune de ces méthodes n’a toutefois encore montré qu’elle était applicable au niveau individuel. Des efforts internationaux ont pour but de mettre en commun les analyses d’imagerie faites dans les différents centres afin de disposer d’échantillons plus importants. Dans la suite du congrès avait lieu la réunion de la Société de Neuroimagerie dans la SLA (groupe NISALS pour Neuroimaging Society in ALS). Le dynamisme de ce groupe qui rassemble des chercheurs impliqués dans le domaine laisse présager des progrès importants dans le futur.

 

LEGENDES

AS12 fig5

Figure 5 : comment étudier l’expression des gènes dans le muscle